Megan Abbott...
Megan Abbott n'est pas une nouvelle venue mais Absente est son premier roman traduit en français et, donc, publié chez nous.
A l'image du Dahlia noir d'Ellroy, la native de Detroit s'est inspirée d'un fait divers touchant au Hollywood de l'époque des studios. Mais, nous arrêterons là la comparaison.
Gil Hopkins, le personnage principal, est un être ambitieux, volage et arriviste. Il est désormais un attaché de presse important et surtout très en vue. Quelques années lui ont suffi pour approcher le nirvana hollywoodien et il ne compte pas s'en tenir là.
Le passé le rattrape cependant en la personne d'Iolene qui demande à le voir à son bureau. Cette dernière, starlette de couleur, a côtoyé Gil à une époque pas si lointaine. Surtout, deux ans auparavant, en 1949, alors que celui-ci n'était encore qu'un reporter à Cinestar et qu'il arpentait les rues et les bars de la capitale du rêve, traquant faveurs et potins relatifs aux stars, ils s'étaient retrouvés à l'occasion d'une petite sortie nocturne, façon délire éthylique et autres substances moins recommandables.
Or, cette sortie fut la dernière de Jean Spangler, autre starlette amie d'Iolene, qui s'était volatilisée corps et biens et qui, à ce jour, n'a toujours pas refait surface. Seul son sac à main contenant un message énigmatique (voir photo) avait été retrouvé à l'époque.
Gil, individu malin et prêt à taire les ragots pouvant mettre à mal les grandes vedettes, avait caché une grande partie de la vérité aux flics quant au déroulement de l'ultime soirée de Jean. A commencer par le fait que cette dernière avait certainement suivi deux stars aux déviances sexuelles avérées.
Bien entendu, Hop n'a pas oublié. Il peut même très bien se remémorer de nombreux détails, même s'il ne sait pas ce qui est arrivé à la disparue.
Seulement, il se demande bien ce que cette Iolene attend de lui et, surtout, pourquoi elle réapparaît et lui rappelle cette sombre histoire deux ans après.
Il va alors, d'abord par curiosité, puis par un sens des valeurs dont il s'estimait dépourvu, s'évertuait à retisser les liens, à remonter aux sources ou à en découvrir d'autres...
Le lecteur, au gré des investigations de ce héros particulier, est plongé dans un monde d'illusions, où derrière les paillettes se dissimulent l'hypocrisie, la drogue, la violence et la perversion. Tout ceci n'est guère nouveau, certes, mais on peut dire qu'Abbott insiste, sans pour autant forcer son écriture, sur la duplicité de l'usine à rêve. Une usine broyant ou utilisant ceux qui voudraient bien en profiter en occupant une place, même petite, sur la chaîne. Quitte à se mettre en danger. Surtout quand on croise des stars tordues, mais aussi des membres de la pègre attirés par l'odeur de l'argent facile...
Plus encore que la résolution de ce que tous s'entendent à qualifier de "crime", le héros va s'atteler, tel un privé de la plus pure tradition "hard-boiled", à une tâche bien plus ardue: se connaître, faire craquer le vernis, aller au fond de lui même et tomber le masque. Du personnage cynique, méprisant, dépourvu de sentiments "gratuits", à commencer lorsque l'on en sait plus sur sa relation avec Midge, son ex-femme, Hopkins veut faire quelqu'un de bien. Tout simplement.
Nous n'irons pas jusqu'à parler de rédemption, tant le terme est connoté religieusement. Une quête, éventuellement, un rachat certainement.
Peut-être même que ce roman est un "roman de désapprentissage" tant Hopkins désapprend ici. Lui qui était passé maître dans l'art de la manipulation, de l'illusion, du mensonge, va rechercher la vérité jusqu'à l'obsession. Pour comprendre, pour savoir, pour toucher à l'essentiel. Sur Jean comme sur lui.
Tout chez Megan Abbott va tendre vers cela. Le style comme la construction du roman vont s'évertuer à traduire les sensations du personnage, à en révéler les impressions. La véritable "tempête sous un crâne" à laquelle il est soumis amène une confusion croissante. Entre le vrai et le faux. Entre la réalité et le rêve. Toujours sur le fil, souvent tout en retenue. Jusqu'à l'incroyable révélation finale.
Un roman exigeant, parfois ardue tant les monologues intérieurs occupent une place prépondérante, mais un roman qui mérite qu'on s'y arrête.
Et qui attend la suite pour confirmation d'un talent potentiel indéniable.
Absente (the song is you, 2007) de Megan Abbott (trad. Benjamin Legrand), Sonatine édition (2009), 272 pages
ps: sur le cas Jean Spangler, wikipédia propose un article (en anglais) relativement complet
A l'image du Dahlia noir d'Ellroy, la native de Detroit s'est inspirée d'un fait divers touchant au Hollywood de l'époque des studios. Mais, nous arrêterons là la comparaison.
Gil Hopkins, le personnage principal, est un être ambitieux, volage et arriviste. Il est désormais un attaché de presse important et surtout très en vue. Quelques années lui ont suffi pour approcher le nirvana hollywoodien et il ne compte pas s'en tenir là.
Le passé le rattrape cependant en la personne d'Iolene qui demande à le voir à son bureau. Cette dernière, starlette de couleur, a côtoyé Gil à une époque pas si lointaine. Surtout, deux ans auparavant, en 1949, alors que celui-ci n'était encore qu'un reporter à Cinestar et qu'il arpentait les rues et les bars de la capitale du rêve, traquant faveurs et potins relatifs aux stars, ils s'étaient retrouvés à l'occasion d'une petite sortie nocturne, façon délire éthylique et autres substances moins recommandables.
Or, cette sortie fut la dernière de Jean Spangler, autre starlette amie d'Iolene, qui s'était volatilisée corps et biens et qui, à ce jour, n'a toujours pas refait surface. Seul son sac à main contenant un message énigmatique (voir photo) avait été retrouvé à l'époque.
Gil, individu malin et prêt à taire les ragots pouvant mettre à mal les grandes vedettes, avait caché une grande partie de la vérité aux flics quant au déroulement de l'ultime soirée de Jean. A commencer par le fait que cette dernière avait certainement suivi deux stars aux déviances sexuelles avérées.
Bien entendu, Hop n'a pas oublié. Il peut même très bien se remémorer de nombreux détails, même s'il ne sait pas ce qui est arrivé à la disparue.
Seulement, il se demande bien ce que cette Iolene attend de lui et, surtout, pourquoi elle réapparaît et lui rappelle cette sombre histoire deux ans après.
Il va alors, d'abord par curiosité, puis par un sens des valeurs dont il s'estimait dépourvu, s'évertuait à retisser les liens, à remonter aux sources ou à en découvrir d'autres...
Le lecteur, au gré des investigations de ce héros particulier, est plongé dans un monde d'illusions, où derrière les paillettes se dissimulent l'hypocrisie, la drogue, la violence et la perversion. Tout ceci n'est guère nouveau, certes, mais on peut dire qu'Abbott insiste, sans pour autant forcer son écriture, sur la duplicité de l'usine à rêve. Une usine broyant ou utilisant ceux qui voudraient bien en profiter en occupant une place, même petite, sur la chaîne. Quitte à se mettre en danger. Surtout quand on croise des stars tordues, mais aussi des membres de la pègre attirés par l'odeur de l'argent facile...
Plus encore que la résolution de ce que tous s'entendent à qualifier de "crime", le héros va s'atteler, tel un privé de la plus pure tradition "hard-boiled", à une tâche bien plus ardue: se connaître, faire craquer le vernis, aller au fond de lui même et tomber le masque. Du personnage cynique, méprisant, dépourvu de sentiments "gratuits", à commencer lorsque l'on en sait plus sur sa relation avec Midge, son ex-femme, Hopkins veut faire quelqu'un de bien. Tout simplement.
Nous n'irons pas jusqu'à parler de rédemption, tant le terme est connoté religieusement. Une quête, éventuellement, un rachat certainement.
Peut-être même que ce roman est un "roman de désapprentissage" tant Hopkins désapprend ici. Lui qui était passé maître dans l'art de la manipulation, de l'illusion, du mensonge, va rechercher la vérité jusqu'à l'obsession. Pour comprendre, pour savoir, pour toucher à l'essentiel. Sur Jean comme sur lui.
Tout chez Megan Abbott va tendre vers cela. Le style comme la construction du roman vont s'évertuer à traduire les sensations du personnage, à en révéler les impressions. La véritable "tempête sous un crâne" à laquelle il est soumis amène une confusion croissante. Entre le vrai et le faux. Entre la réalité et le rêve. Toujours sur le fil, souvent tout en retenue. Jusqu'à l'incroyable révélation finale.
Un roman exigeant, parfois ardue tant les monologues intérieurs occupent une place prépondérante, mais un roman qui mérite qu'on s'y arrête.
Et qui attend la suite pour confirmation d'un talent potentiel indéniable.
Absente (the song is you, 2007) de Megan Abbott (trad. Benjamin Legrand), Sonatine édition (2009), 272 pages
ps: sur le cas Jean Spangler, wikipédia propose un article (en anglais) relativement complet