Et plus si affinités...

Publié le par cynic63

Parfois la Série Noire prend des risques: elle ose publier des ovnis qui sortent véritablement des sentiers battus du genre, tant dans leur fond que dans leur forme.
Ce premier roman d' Antoine Chainas sorti dans la collection historique semble être un de ces objets littéraires qui vous flanquent une sacrée claque.
Avec Aime-moi, Casanova, on a affaire à du lourd. Du très lourd.
Cependant, si on lit ce roman comme une série noire "habituelle", il me semble qu'on ne pourra pas vraiment apprécier. Par contre, si on prend l'objet avec une certaine hauteur et si on l'aborde en prenant soin de s'attacher aux symboles, on peut être séduit.
En effet, le réalisme disparaît très vite du roman. On est plus dans l'image, la métaphore voire le surréalisme.
Milo est un flic malade. De sexe. Seulement, on ne peut pas dire qu'il cherche à séduire au sens strict du terme ou même qu'il y trouve du plaisir. Il cherche plutôt à assouvir ses instincts. La première scène de sexe ( "scène" car tout dans l'écriture de Chainas invite à la visualisation) est une mise en action dans des toilettes sordides d'un établissement qui ne l'est pas moins. Pour parler crûment, à la lecture de ces lignes, on ne voit que deux sexes qui entrent en contact, en conflit. Ce que le narrateur dit clairement d'ailleurs.
C'est glauque: une bite et un trou (désolé mais c'est la sensation que j'ai éprouvée). Et, tout, absolument tout, dans les délires sexuels de Milo lorgne du côté d'une libido bestiale.

Giovanni, le collègue de Milo est tout le contraire de celui-ci: sérieux, intègre, honnête, consciencieux.  Pour une raison bien étrange, il le couvre même de tous ses manquements car, bien sûr, Milo est un être à la dérive, détruit par un terrible drame familial. Or, Giovanni disparaît mystérieusement.
Notre "héros" est chargé de le retrouver et le chef ne lui donne que peu de temps pour y parvenir.

On le suit dans ce qui constitue une descente aux Enfers doublée d'une traversée de musée des horreurs.
On croise tour à tour des flics véreux, une psy pas très nette affublée d'un enfant à la limite du monstre, un compagnon d'une ex-femme ressemblant plus aux animaux auxquels ils règlent le sort -car ce délicat personnage est boucher- qu'à un doux amant, des tueurs à gages sortis d'un film de Tarantino. Bref, que du beau monde...
La description du club "très spécial" nous laisse pantois. et on n'a pas forcément envie de participer à ces jeux entre adultes consentants

Certes, Chainas en fait beaucoup, grossit le trait, franchit parfois la limite de la caricature. Cependant, sous cette première couche à forte tonalité parodique, on découvre un univers désespéré où les repères tombent, où les certitudes sont ébranlées.
Par exemple, on est parfois surpris de se demander si certains membres du club très fermé que fréquente Milo ne seraient pas plus équilibrés que les "normaux" qui cachent ou enfouissent leur vraie nature sous les habits de la respectabilité.
On pourra penser, en outre, que certains passages du roman ne constituent que le récit du suicide programmé d'un homme qui mêle, de manière maladive, Eros et Thanatos.
La fin n'est que pure allégorie et Chainas exécute le peu de réalisme qui demeurait dans le livre dans une apothéose des plus lyriques, car notre homme n'a pas oublié de savoir écrire.
Certes, on peut être déstabilisé par cette noirceur paraissant gratuite, désarçonné par des situations grotesques, écoeuré par ces scènes violentes de toutes natures mais on peut aussi penser qu'on tient là un auteur prometteur qu n'en est qu'aux prémisses d'une oeuvre à  venir.


Après avoir refermé Aime-moi, Casanova, on se dit qu'il y a des livres qui ne sont pas faits pour égayer nos sombres soirées d'hiver...
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Aime-moi, Casanova d'AntoineChainas, Série Noire, 249 pages

Publié dans Noir français

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